Valeur de la transmission

A l’atelier d’art-thérapie, il y a quelques jours, une petite fille de 9 ans déclarait: « En rentrant à la maison, je dois apprendre ma leçon d’histoire; ça m’énerve. A quoi ça va servir pour mon boulot plus tard? ». J’ai souri.

Je lui ai demandé si elle était contente d’aller chez ses grands-parents en vacances et si elle était heureuse de les connaître. Elle m’a répondu que oui. Puis, je lui ai demandé sa réaction si elle ne les avait pas connus; elle me répondit que ce serait dommage. Alors, je lui ai parlé des bébés abandonnés qui, une fois grands, éprouvent le besoin de connaître leur famille d’origine. En prolongement, j’ai cité le proverbe africain « Pour savoir où tu vas, il faut savoir d’où tu viens ».  Sans l’évoquer, j’ai aussi pensé au titre du tableau de Gaughin: « D’où venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous? » et à tous les exemples de tyrans, régimes politiques ou pensées totalitaires qui ont cherché et cherchent encore à effacer, détruire les traces et vestiges, témoignages insupportables d’un passé trop visible dans le présent.

Je lui ai simplement dit qu’un être humain sans lien avec son passé est un peu comme un arbre sans racines et que l’histoire justement c’est cela: connaître le passé dont notre présent  est profondément nourri, comme la sève nourrit l’arbre par ses racines et lui permet de grandir; qu’il n’y a pas que des choses utiles « pour le boulot » à apprendre et que justement c’est parce qu’elle aura reçu toutes ces belles nourritures qu’elle sera solide pour choisir et assumer son « boulot ». Elle m’avait écouté avec intérêt et j’espère que, malgré la complexité et la densité des leçons d’histoire qui ont depuis longtemps perdu la simplicité des apprentissages de base, elle a commencé à apprendre sans trop de mépris sa leçon .

Dans mon travail quotidien, je rencontre régulièrement des enfants et adolescents qui ne supportent pas l’histoire et le fait d’apprendre dans la contrainte des matières vécues comme inutiles. Je le déplore car ce phénomène, comme les paroles de cette petite fille sincère,  témoigne d’un fait plus grave qui alimente sournoisement les crises d’aujourd’hui. Il est le suivant: notre société est devenue si bassement utilitariste qu’elle en oublie un des principes fondateurs de toute société humaine: la transmission. En ne jurant plus que par ce qui doit être immédiatement rentable ou utile, les générations adultes valorisent cette idée que l’individu peut exister seul, sans référence, au mépris d’une mémoire et de valeurs culturelles partagées. Et, comme dans d’autres domaines, le vide de sens est alors artificiellement comblé  par un « devoir de mémoire » formalisé dans des célébrations pompeusement mises en scène et médiatisées. Cela satisfait les décideurs et comblent les affectifs.

Mais rien ne peut remplacer la transmission éducative directe que ce soit dans les familles ou par l’école. L’histoire et la culture en général sont des moyens de connaissances très utiles qui éclairent notre présent et ainsi, lui donnent sens. A l’inverse, l’utile et l’immédiat réduisent le sens à leurs seuls besoins, favorisent la dispersion et l’individualisme centré sur l’intérêt particulier. De la même façon, ils n’admettent pas l’attente, réfutent la patience, les moments de silence, le rien faire pour mieux préparer l’agir. C’est tout cela que l’on veut balayer d’un revers de main et sacrifier sur l’autel du profit et de la rentabilité sans penser aux conséquences: une société sans fondement, sans liens, où l’agitation et la violence combleront ces vides que les individus seront réduits à vivre.

Triste époque d’une société qui pourrait faire naufrage mais qui, heureusement, garde en son sein des énergies nouvelles qui, par la culture, la connaissance et le besoin d’humanité, inventent, bâtissent, développent et font vivre des modèles ne se perdant pas dans une illusoire rupture avec le passé car c’est dans cette réconciliation positive et ouverte -et non dans le retour aux traditions et aux anciens modèles- que peut véritablement s’inscrire la dynamique du présent.

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