
PARTIE 2: LA PEUR DE LA REPETITION
Comme l’a expliqué mon précédent article « Art-thérapie et crise sanitaire: Valeur de l’expression art-thérapeutique », l’utilisation de différents moyens a permis de révéler les effets immédiats de cette situation inattendue. Il s’agit aujourd’hui de développer l’étude des effets secondaires, ceux que nous vivons à l’heure actuelle. La peur de la répétition y occupe une place centrale.
En stoppant leur mode de vie, la crise sanitaire a contraint les corps de manière inattendue et brutale. L’enfermement physique s’est doublé d’une rumination mentale largement entretenue par les médias, internet et les réseaux sociaux. La répétition en boucle, la multiplication des images et des discours ne nourrissent jamais une réflexion positive puisqu’elles s’opposent, par principe, à la séparabilité des affects engendrés. En effet, comme il a été souvent constaté en séance d’art-thérapie, face aux écrans et à l’afflux continuel d’informations, le corps bloqué colle à l’immédiateté de ce qu’il reçoit et perçoit. La vision des images liées à la maladie, à la mort et à l’état d’urgence déclenche inquiétude, peur, stress et angoisses diverses selon les individus. Associés à ces images, les mots et attitudes démultiplient ces affects tandis que la diversité des discours rend les analyses porteuses de sens inaudibles. Dans le même temps, les indécisions politiques et les contradictions scientifiques nourrissent le sentiment d’incompréhension et de désordre alors que tout mouvement est stoppé.
On retrouve ainsi les ressentis majeurs liés aux situations traumatiques tels que tous les corps les expriment dans leurs productions art-thérapeutiques. Premièrement, irruption inattendue d’un événement qui marque une rupture plus ou moins violente dans la sérénité du quotidien. Deuxièmement, incompréhension face à cette situation. A ce stade, le besoin de comprendre est fondamental car c’est lui qui permet de rétablir l’équilibre perdu. L’établissement d’un sens clairement défini est alors nécessaire. Grâce à lui, corps et cerveau se reconnectent rétablissant confiance et sécurité. De même, la présence d’un entourage serein et bienveillant y contribue. Il va sans dire que de nombreuses personnes ont malheureusement connu l’inverse: maintien de la confusion doublé d’un isolement social. Ainsi, si le corps ne retrouve pas rapidement confiance et sentiment de sécurité, il reste en état de vigilance par peur de la répétition.
A l’heure actuelle, depuis de nombreuses semaines, cette peur de la répétition est entretenue quotidiennement. Elle entraîne une inquiétude face à l’avenir ainsi qu’une peur de l’amplification du désordre. Elle provoque ainsi deux mouvements inverses. D’une part l’échappatoire par le déni avec, parfois, un lâcher-prise festif et insouciant. D’autre part, le souhait d’un ordre strictement imposé. De manière totalement inversée, ces deux attitudes sont chacune une manière de résoudre le désordre provoqué et de dépasser le traumatisme. Mais l’incompréhension entre ces deux pôles est source de conflits. Elle entraîne même des réactions violentes qui prouvent la présence des affects à leur origine. Pour les uns, c’est la valeur de la liberté contre l’enfermement et le contrôle du mouvement. Pour les autres, c’est la valeur de la maîtrise contre le désordre et la peur. Un problème éminemment politique présent à l’échelle de nombreuses sociétés contemporaines. Or, n’est-ce pas au politique de gérer les relations d’une cité en ayant conscience des effets induits par les événements afin de mieux les réguler? Mais les politiques en ont-ils une conscience juste? Ils se réfèrent aux connaissances scientifiques mais ces dernières ne montrent-elles pas leurs limites au-delà des corporatismes, conflits d’intérêts ou enfermements théoriques?
L’art-thérapie est une pratique qui s’établit sur des faits, des données obtenues à partir de relations réelles et non virtuelles. En démultipliant la résonance des affects à l’échelle des corps individuels et sociaux, la crise sanitaire a révélé les défaillances de nos sociétés. Elle pose la question de l’utilisation des connaissances. Elle en a amplifié les paradoxes et les limites. Elle demande aujourd’hui des réponses différentes, raisonnables et circonstanciées telles que certains spécialistes, médecins, chercheurs ou scientifiques le soulignent. Souhaitant contribuer à une évolution différente et positive, l’art-thérapie intègre la notion d’information qualitative transmise et ressentie à l’échelle des corps individuels comme sociaux. Ceci afin de contribuer à un avenir différent et serein car détaché des peurs accumulées. Ce sera donc le sujet de mon prochain article intitulé: « Art-thérapie et crise sanitaire: Incidence des Mémoires affects sur notre présent ».