La souffrance au travail en art-thérapie

L’importance du contexte

Une patiente d’une quarantaine d’années, infirmière, une autre, puéricultrice en PMI, une éducatrice, un contrôleur de travaux, une jeune adulte, une lycéenne etc. Tous tiennent le même discours en arrivant: « J’ai un problème, ça ne va pas ».  Ils décrivent alors leur vie professionnelle ou scolaire et expriment l’importance pour eux de bien faire les choses avec un certain sens, notamment celui de leur responsabilité (par rapport aux patients, aux familles, à leurs copains, aux personnes utilisant un service public etc.); ces ressentis étant importants pour se sentir en accord avec eux-mêmes et agir efficacement.

Je leur demande alors de représenter ou bien de décrire le monde dans lequel ils se évoluent: tâche multiples, rapidité, prédominance de l’ordinateur, obligation d’être performant ou conforme au groupe sous peine d’exclusion, exigences privilégiant plus la forme ou le résultat que le fond, impossibilité d’exprimer son mal-être ou sa colère car il faut être fort; autant de facteurs en relation avec un temps qui est toujours compté, qui met sous pression et qui interdit les réactions. La conscience professionnelle et l’estime de soi n’est pas valorisée mais, à l’inverse, quotidiennement mise en difficulté par le fait que l’individu ne peut réaliser sa tâche avec les valeurs qui lui donnent sens. Exemple: l’infirmière ne doit pas s’occuper des malades avec empathie; il vaut mieux remplir les cases de l’ordinateur. L’étudiante en MANAA ne doit pas passer trop de temps sur sa production graphique, il vaut mieux une tâche rapide car plus expressive. Le contrôleur de travaux ne peut plus s’occuper des routes et de ses équipes car il doit avant tout informer ses supérieurs pour les nécessités statistiques et les anticipations financières.

Toutes ces personnes sont enfermées dans une relation au temps qui, non seulement les met constamment sous pression mais les empêche, voire les culpabilise de centrer leur attention, de donner -par leur action- le sens indispensable à leur équilibre. Ainsi, comment peut-on s’étonner des suicides sur les lieux professionnels? L’individu ne fait que traduire par son geste la souffrance endurée sous la pression de multiples immédiats en constant décalage par rapport à ses propres besoins, à ceux des autres ou à ceux de son environnement. Dans un tel contexte, la négation de soi-même réalise l’ultime perturbation faisant suite à toutes celles que la personne a subies depuis de nombreux mois.

C’est pourquoi, si chaque patient, peut se poser des questions quant à sa façon d’être et de réagir face à certaines situations, l’art-thérapie donne au contexte du présent toute sa place car c’est aussi lui qui affecte l’individu. Tout ne peut être uniquement de la faute des dysfonctionnements individuels: existe-t-il d’ailleurs une personne parfaite ? Or, à l’heure actuelle, on a tendance a facilement nous faire croire le contraire alors que l’environnement et l’atmosphère sociale sont envahis de peurs multiples -peur de l’agression, peur du déclassement social, peur des maladies, peur des autres, peur de l’avenir etc.- qui réactivent puissamment les mémoires des chocs et les ondes de perturbations très déstabilisantes. Ainsi, malmenés dans leur être, fragilisés par le contexte, tous ces patients se sentent perdus, diminués, n’ont plus le discernement nécessaire au juste déploiement de leurs actions. Trop souvent forcés à réagir, ils sont de plus en plus en incapacité de le faire lorsqu’ils en auraient véritablement besoin et se sentent alors illégitimes.

Le rôle de l’art-thérapie est donc de faire retrouver au patient son discernement en évaluant le rôle des facteurs individuels (expression des ressentis) et le rôle du contexte (représentation de l’environnement) tout en lui redonnant le sens de son existence, celui de sa valeur et de sa légitimité individuelle. En retrouvant sa capacité d’agir, de répondre aux exigences du contexte sans se renier elle-même, la personne se remet en mouvement et goûte la joie de ce que Bergson appelle « l’élan vital ». L’art-thérapie a alors atteint son but: ramener un positif lumineux dans et autour de l’individu, les deux pôles étant indissociablement liés.

Simandres le 30 novembre 2016

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