Du corps individuel au corps social et politique, analyse des raisons qui poussent au contrôle plus qu’au lâcher prise.

Grâce à l’utilisation de l’expression, la pratique de l’art-thérapie permet de constater le mécanisme des réactions liées à la peur d’un danger ayant traumatisé l’individu. En créant un arrêt brutal, incompris et inattendu, en activant au quotidien la peur de la maladie, de la mort ou le risque de la mort de l’autre, en faisant planer la possibilité d’une répétition, en alternant les périodes d’espoir et de rechute, la crise sanitaire a favorisé l’élaboration de ce constat dont différents spécialistes perçoivent encore plus l’onde de choc aujourd’hui. Mais elle a également permis d’établir que les effets et mécanismes perceptibles au niveau des corps individuels sont les mêmes à l’échelle des corps sociaux et du corps politique. Tel est le but de cet article : montrer la présence de ce processus qui conduit au choix de l’ordre pour rétablir l’harmonie perdue.

Quand le corps connaît une situation traumatisante qui bloque sa possibilité de mouvement (fuite ou réaction de défense), il est envahi par la peur et dépassé par une situation que le cerveau ne peut gérer et modifier. Le cerveau est l’organe par excellence de la gestion maîtrisée du corps ; grâce à lui, le corps assure son mouvement de vie, sa capacité d’action et d’adaptation, notamment face au danger. Comme l’explique Muriel Salmona dans son étude du syndrome post traumatique, différentes zones cérébrales tentent de réagir afin de contrôler la situation traumatique, processus pouvant aboutir à la fameuse déconnexion cérébrale, ultime moyen de sauvegarde du corps physique et psychique. A l’atelier thérapeutique, tous les corps expriment ces étapes dramatiques, ce tsunami  cérébral, émotionnel et physiologique, les différents effets qu’il induit et l’état auquel il aboutit : déstabilisation, déséquilibre, inquiétude, peur ou terreur focalisée sur une ou plusieurs sensations,  vigilance,  ruminations incessantes, angoisses etc.

Le corps garde les traces de ce désordre dont l’énergie négative ressurgit en fonction d’indices précis. Que l’événement traumatique se soit déroulé dans un passé proche comme dans un passé très lointain –jusqu’à sept générations- , la thérapie en Mémoire Fondamentale intègre la présence déterminante de ce passé qui ne passe pas et en retrouve tous les effets au présent.

Comme il a été dit précédemment, les effets de cette peur, de sa résurgence ou de sa répétition sont multiples. Le plus prégnant pour le corps reste lié à l’impossibilité de la maîtrise d’un événement qui met en jeu sa survie. En lien avec cette peur existentielle fondamentale, le plus terrorisant est la sensation du vide lié au vécu du traumatisme : vide des sensations en rapport avec la déconnexion cérébrale évoquée plus haut ; vide qui, comme un trou noir, correspond  au désordre créé dans lequel le niveau d’énergie est extrêmement élevé alors que le corps est bloqué et ne peut la transformer en énergie de mouvement. Beaucoup de productions art-thérapeutique évoquent ce moment où le corps est entièrement soumis à ce vertige qui l’aspire et lui font revivre la terreur de cette bascule. Face à elle, il doit résister afin de ne pas s’y soumettre. Ainsi, vivre le vide est associé à une perte de contrôle qu’il faut absolument éviter par un mouvement inverse : celui d’un recours à la maîtrise et à l’ordre. C’est l’opposé du lâcher-prise dans lequel le corps fait le vide en toute sérénité.

Par ailleurs, pour échapper à ce phénomène physique angoissant et rétablir l’harmonie perdue, les réactions individuelles sont diverses. De la plus violente (colère) à la plus passive (repli sur soi), chacune est une manière de rester le maître de la situation. A ce stade, il n’y a plus de raison voire de conscience ni de morale, juste une tentative de survie à l’événement. Ou -comme le montre les productions- une façon de le réitérer car il a pris toute la place et qu’il ne reste plus qu’à montrer sa présence, source de tant de  mal-être et de souffrances.

Face à la crise sanitaire qui dure et s’est répétée, les réactions sociales montrent les mêmes mécanismes. Le recours à la vaccination comme seule solution valable a soulevé un espoir face au danger et le retour possible à l’équilibre. Et tous ceux qui s’y opposent risquent de réactiver les traumatismes précédents: mort, confinement, séparation, chute économique etc. Cela n’est pas envisageable pour qui pense avoir permis d’éliminer la pandémie et son envahissement dans notre quotidien. C’est pourquoi des réactions d’incompréhensions  peuvent avoir lieu et parfois de façon violente. Elles cristallisent cette peur du retour du traumatisme, cette angoisse face au vide. Et au bord de ce trou noir, il n’y a plus de raison, plus de dialogue possible ; seuls les affects à plus haute tension sont présents.

C’est pourquoi il est important de considérer le rôle du corps politique qui ne cesse, au fil des ans, de favoriser une gestion émotionnelle des affaires publiques, soutenu par de nombreux médias qui suivent ce penchant car les gros titres, les événements chocs ou les sujets déclenchant l’empathie attirent plus le public et sont donc plus rentables. Mais, en politique, cette tendance va également de pair avec son inverse où toute écoute, compréhension et empathie sont bannies. Là encore, une manière d’équilibrer les choses ou de les contrôler par peur d’un envahissement émotionnel rappelant celui du désordre traumatique. Ainsi, le pass sanitaire n’a pas que pour fonction de favoriser la vaccination. Les responsables l’ont choisi en pensant soulager définitivement les effets de la crise . Comme le ferait un corps individuel, ils pensent ainsi éviter le désordre social et rétablir l’équilibre perdu. Depuis des mois et encore aujourd’hui, l’annonce régulière du retour possible du traumatisme sanitaire justifie ses choix par la présence sourde du danger. Il renforce ainsi la nécessité de la réaction et du contrôle alors que les chiffres sont bas et que toutes les projections chiffrées ne se sont jamais vérifiées dans les faits.

Nous évoluons désormais dans un système rigide qui, par peur du désordre a choisi l’ordre. Et cela rassure le plus  grand nombre notamment les baby boomers qui, par lassitude, désillusion, excès de souci ou égoïsme, tiennent tant à leur confort ou à leur tranquillité qu’ils en ont oublié a valeur du dynamisme de la jeunesse à l’échelle d’une société. Car la jeunesse, cette force vive en mouvement, est aujourd’hui sapée dans ses aspirations et sa capacité à s’affirmer, à prendre des risques ou à oser le changement. Là encore, l’atelier art-thérapeutique accueille  régulièrement des jeunes qui doutent de leur avenir, d’eux-mêmes, qui ne trouvent pas de travail après leur diplôme, qui sont seuls, sans accompagnement, sans appui ou sans réseau et qui se replient sur eux.

Des années d’expérience m’ont appris qu’une démarche thérapeutique qui a pour but de restaurer le bien-être et de rétablir l’harmonie rompue s’appuie à la fois sur un accompagnement attentif et sur le rétablissement d’une cohérence interne. L’engagement dans un processus d’expression spontanée se base sur la confiance mutuelle. De cette manière, le corps livre toutes les informations vécues et ressenties sans peur du jugement ou de l’incompréhension. A partir d’elles, une logique associative relie toutes les données en jeu. Au-delà des affects en jeu, cette compréhension logique ne repose pas sur des limites ou préconçus théoriques qui visent à contrôler la situation ; elle s’appuie au contraire sur la personne en respectant ce qu’elle vit. Ainsi, elle favorise le retour à l’état d’harmonie. Ce dernier repose sur des limites mouvantes relatives à un mode d’organisation cohérent qui rassure et stabilise l’individu. Par son état d’esprit ouvert et positif, la logique associative évite le processus de focalisation sur un seul paramètre, témoignage nocif de la peur et de la présence du trauma. Comme avec un trou noir ou dans un processus entropique, à partir d’un certain stade, le processus de désintégration ou de dégradation d’un corps s’accélère et ne peut être stoppé. Toute son énergie est focalisée puis absorbée dans une spirale négative. La personne est alors réduite à des affects qui n’ont plus aucun rapport avec la réalité des faits. En rétablissant un processus de compréhension distancié, la logique des relations, ouvre un espace d’évolution positive. Elle évite la dérive affective et la rigidification d’un ordre imposé, tous deux peu propices au nécessaire mouvement de « défocalisation ».

En choisissant un seul paramètre de soin, le corps politique obéit à ce principe de focalisation qui active la présence du traumatisme de 2020, de la peur et de ses effets. Avec l’établissement du pass sanitaire, il se mure dans une intransigeance qui prouve sa fragilité face à la gestion du désordre. C’est un choix risqué et dangereux mais il démontre ainsi que, quel que soit le corps –individuel, social ou politique- la clairvoyance du présent reste la posture la plus difficile. Il serait souhaitable de remplacer la rigidification par l’ouverture, la centralisation par la mise en relation d’apports multiples, le mépris par la confiance. Mais surtout de modifier un état d’esprit bien français qui, par peur, choisit la tranquillité et la sécurité plutôt que le mouvement. Cela implique une nette évolution de pensée qui donne au lâcher-prise une place  en accord avec la présence de limites raisonnables, basées sur des faits et non sur une gestion affective des affaires publiques ou une croyance immodérée en une modernité toujours salvatrice.

Simandres, le 29 septembre 2021

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