La vision occidentale d’un monde au mouvement linéaire, aux lois mécaniques et déterministes a prévalu tout au long du XIXème siècle. Dès le début du XXème , les nouvelles découvertes scientifiques et les deux conflits mondiaux ont remis en question cette vision sécurisante et ses principes pour favoriser l’émergence de la contingence c’est à dire de l’existence aléatoire de ce qui peut être ou n’être pas. Ainsi, hasard et mouvement se trouvèrent liés, pour le meilleur et pour le pire.
Pour le meilleur: une liberté accrue car toute chose est désormais mouvante et ne peut plus être déterminée, figée, enfermée dans un cadre, des traditions, des principes sclérosants.
Pour le pire: un mouvement incessant, qui n’obéit à aucune loi ni règle, car pourquoi être responsable puisque tout obéit fondamentalement au hasard.
Si le mouvement de toute chose est un fait indubitable du vivant, il apparaît aujourd’hui fondamental de se poser cette question: le mouvement et donc l’évolution ou le changement d’état est-il lié au hasard ou bien obéit-il à une logique que l’on ne saisit pas encore du fait de notre impossibilité d’accéder au niveau de connaissance et de conscience nécessaire? Pourra-t-on un jour démontrer qu’Einstein avait raison lorsqu’il récusait cette notion en déclarant que « Dieu ne joue pas aux dés »? Certainement.
Mais à l’heure actuelle, à force de laisser une trop grande place à un mouvement lié à l’ incertitude, les systèmes le génèrent par nécessité mais sans la valeur du sens et ainsi se déstructurent de plus en plus. Afin d’en encadrer les effets destructeurs, ils multiplient à l’inverse les décisions et procédures qui empêchent la mise en place efficace de son évolution. Ainsi, le monde politique et les diverses institutions responsables de la vie collective sont cesse dépassés par ce mouvement obligé mais hasardeux et courent après ses effets plutôt qu’elles ne le prévoit et l’organise. En parallèle, l’idéologie du profit matérialiste immédiat utilise habilement des idées issus de ces principes; idées qui cautionnent son mode de fonctionnement: vision à court terme, transformation radicale des modes de vie ou des schémas culturels et sociaux qui fondent une identité, irresponsabilité des dirigeants qui n’arrivent plus à donner du sens etc.
Au sein de cette débandade généralisée, le sentiment d’incompréhension, de désorganisation et d’abandon ne peut que favoriser les réflexes sécuritaires de protection . Surtout dans un monde qui apprend et favorise plus l’individualisme que le collectif…
Mais ne désespérons pas: le mouvement incessant de la vie fera évoluer notre vision du monde et nous apprendra que le hasard n’existe pas, qu’il est donc important d’user de notre engagement et de notre responsabilité individuelle dans les choix et actions menés. Et du haut de son étoile, Einstein nous tirera peut-être encore une fois la langue!
De nombreuses initiatives nous montrent déjà la voix de cette conviction. Les événements tragiques, remises en question, turbulences actuelles et à venir secouent nos certitudes, ébranlent notre monde qui va sans aucun doute connaître des changements radicaux. Cette situation est délicate; elle doit être accompagnée et encadrée avec le plus de pertinence, de sérénité et de raison malgré les heurts et les violences. Si nous nous laissons emporter par la volonté de reprendre avec trop de fermeté le cours de notre histoire alors nous laisserons échapper le seul sens positif de cette évolution.