Lectures d’été

J’ai souvent pensé que les livres, comme les choses, se choisissent non par le fait de ma volonté mais parce qu’ils correspondent tout simplement à un instant de mon présent. Ainsi, un livre, c’est comme toute oeuvre d’art: il vous parle un peu, beaucoup ou bien pas du tout. A moi d’entendre si sa musicalité est en résonance avec ma petite musique intérieure, mon rythme fondamental du moment. Plus il fera vibrer les cordes qui m’animent, plus il sera à même d’être apprécié, goûté, dégusté.

Après une lecture printanière et jubilatoire de l’agréable récit de Jean-Christophe Rufin « Immortelle randonnée Compostelle malgré moi », une flânerie au sein de librairies s’est soldée par l’acquisition de deux ouvrages destinés à la lecture estivale: « Cosmos » de Michel Onfray et « Médecin de campagne, une vie » de Georges Vieilledent. Un auteur très connu, un autre certainement assez peu; qu’importe, quand un livre me parle -et souvent le titre ou la couverture suffisent- aucune autre considération, surtout commerciale ou médiatique, ne trouve grâce à mes yeux.

L’été commença donc et ce temps de la nonchalance débuta avec Georges Vieilledent,  médecin généraliste en Haute-Loire, département rural où la vie était simple et rude. Je l’ai lu d’une traite, comme un bon jus de fruits frais sous la chaleur accablante. Le style et le propos étaient à l’image de la vie de son protagoniste: sans détours. Il relatait une vie d’abnégation, d’action, de solitude et de changements sans éluder les interrogations existentielles d’un homme lucide et responsable autant face aux autres que face à lui-même. J’ai retrouvé, dans cette évocation d’un vécu laborieux et sans artifices, des valeurs que ces temps au matérialisme forcené ont oubliées. J’ai goûté à l’évocation de cette réalité en lien direct et respectueux avec un lieu et ses habitants: pas de démonstration mièvre ni de bienveillance excessive, pas de froideur non plus. Juste de l’attention bienveillante et de la sincérité à l’égard de tout ce qui a été vécu, même face aux difficultés rencontrées ou aux sentiments d’ingratitude éprouvés, aux interrogations personnelles quant aux motivations réelles de cet engagement quotidien.

Si ce premier livre fut dévoré rapidement, la lecture de « Cosmos » fut en rapport avec son poids! Je l’ai dégusté longuement comme un plat dense et épicé, un plat aux saveurs si multiples qu’il vous nourrit à satiété. Digne d’un repas rabelaisien!

Là encore, le propos est direct; lui aussi sans détour, voire volontairement accusateur et surtout plus complexe. Il exige de l’attention et un minimum de connaissances philosophiques; j’ai parfois déploré d’en manquer de manière plus approfondie… La lecture de la préface, je ne peux le dire autrement, s’avéra un enchantement: sensations, réflexions, pensées et ressentis bref, un équilibre harmonieux sans mièvrerie, fioriture ou  complaisance pour parler de choses graves. J’attendais donc avec impatience la tranquillité du lendemain pour reprendre la lecture.

Le premier chapitre a rompu le charme; écueil majeur du littéraire quand la beauté simple d’un récit laisse place à la démonstration plus âpre du philosophe… J’ai toutefois retrouvé en de multiples pages le même plaisir littéraire lorsque Michel Onfray raconte des expériences, des lieux, des personnes, des connaissances. Il m’a ainsi permis d’apprécier ses analyses, réflexions ou points de vue qui, sans cette dimension charnelle car vécue, auraient certainement été nettement plus insipides. Au fil des pages, les pistes ne cessent de s’élargir et, comme dans un grand voyage, de nouveaux horizons se déploient: histoire des religions, chant des pierres, mystère des anguilles, expériences sensorielles, poésie des haïkus, événements de l’art contemporain etc. Le récit se charge et ne cesse; les accumulations validant un principe de vie à l’image des peintures d’Arcimboldo: on est au coeur du vivant mais heureusement, la pensée réfléchie m’a sauvée de ce trop qui pouvait me noyer. Dans la pesanteur d’un été trop brûlant, c’est ainsi que je me suis laissée emporter par ce flot dense qui célébrait l’énergie vitale du monde et des êtres, la richesse de ses formes que l’Homme ne sait plus regarder, ni humblement respecter.

Car ce qui compte avant tout au sein de cet ouvrage -comme dans le premier- c’est la valeur de ce qui est vécu et ressenti en lien simple et direct avec son environnement. Tout ce que ma pratique quotidienne professionnelle m’invite à faire, ce que Mme Bastien m’a enseigné: méfiance vis-à-vis de la théorie et des pensées trop livresques. D’abord et toujours valoriser la pratique et les faits, expérimentés au jour le jour, mis en relation de manière logique puis considérés avec l’usage de la raison et sous l’éclairage cohérent de toutes nos connaissances. Là encore, dois-je déplorer certaines dérives actuelles dans le monde scientifique ou dans celui du soin, deux mondes où les moyens technologiques renforcent des préconçus théoriques trop souvent énoncés comme des croyances indubitables, tristes références nécessaires au maintien d’une position dominante, même au mépris des patients ou du vivant au sens large?

Bien sûr, je pourrais émettre quelques réserves, déposer ici quelques critiques mais au final, je préfère maintenir ce que ces livres m’ont apporté: une réflexion constructive élargie. Car à l’heure où les temps sont de nouveau si troublés, sera-t-il un jour possible qu’au-delà des religions ou de tout autre forme de croyance,  les Hommes se fondent sur une volonté de puissance -au sens nietzschéen du terme ainsi que Michel Onfray nous l’apprend si bien- qui ne soit pas une volonté de pouvoir? Les crises actuelles peuvent-elles tenter de nous l’enseigner?

En espérant que ce possible advienne, soyez avant tout remerciés Messieurs Onfray et Vielliedent pour ces agréables voyages. Si j’ai pu savourer vos propos comme le vin rude de ma campagne d’origine, ils ont pris au fil des pages la puissance et la rondeur d’un breuvage qui vous apporte plaisir sensible et énergie, deux éléments positifs qui ont largement contribué à la joie lumineuse de mon été.

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